Ephémère Margeride

La Petite Princesse.

 

A ïe,

(ces hommes politiques!),

 

 

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Aux grandes personnes que sont devenues les petits enfants auxquels le Petit Prince était dédié,

pour les consoler de la tristesse liée à la malédiction qui veut que la tartine de confiture

tombe toujours... du côté de la confiture.

 

 

-1-

 

 

Lorsque j'avais six ans j'ai vu, une fois, une magnifique image, dans un livre sur la Forêt Vierge qui s'appelait

« Histoires Vécues ». Ca représentait un serpent boa qui avalait un fauve.

 J'ai alors tracé, avec un crayon de couleur mon premier dessin.

Il était comme ça :

 

boa-avalant-de-gaulle.jpg

 

On disait dans le livre : « Les serpents boas avalent leur proie toute entière, sans la mâcher.

Ensuite ils ne peuvent plus bouger et ils dorment pendant six mois. »

 Alors j'ai tracé mon dessin numéro 2.

 

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J'ai montré mon chef-d’œuvre aux grandes personnes et je leur ai demandé si mon dessin leur faisait peur.

 Elles m'ont répondu : « Pourquoi un chapeau bosselé ferait-il peur ? »

 Mon dessin ne représentait pas un chapeau. Il représentait un serpent boa qui digérait le Général De Gaulle.

J'ai alors dessiné l'intérieur du boa, afin que les grandes personnes puissent comprendre.

Elles ont toujours besoin d'explications.

Mon dessin numéro 3 était comme ça :

 

dessin-boa-ouvert.jpg  

Les grandes personnes m'ont conseillé de laisser de côté les dessins de serpents boas ouverts ou fermés,

et de m'intéresser plutôt à la géographie, à l'histoire, au calcul et à la grammaire.

C'est ainsi que j'ai abandonné, à l'âge de six ans, une magnifique carrière de peintre et que j'ai survécu

de longues années du RMI puis du RSA.

 

 

 - 2 - 

 

 

J'ai vécu seul, sans personne avec qui parler véritablement, jusqu'à une panne en Haute-Margeride il y a six ans.

 J'étais sorti du chemin de terre pour éviter un chevreuil et je m'étais retrouvé allongé à côté de ma moto au beau milieu d'un champ de blé, gentil coquelicot...

 De plus quelque chose s'était cassé dans mon moteur. Et comme je n'avais avec moi ni mécanicien, ni passager, je me préparai à essayer de réussir, tout seul, une réparation difficile. C'était pour moi une question de vie ou de mort : le champ appartenait au père Mathieu et sa fourche était redoutable.

 Épuisé, j'avais fini par m'endormir... Une drôle de petite voix m'a réveillé :

 - S'il vous plait, dessine-moi un président !

 - Hein !

 - Dessine-moi un président...

  •  J'ai sauté sur mes pieds comme si j'avais été frappé par la foudre, j'ai bien frotté mes yeux. J'ai bien regardé. Et j'ai vu une drôle de petite bonne femme qui me regardait gravement.

     Je fixais cette apparition avec des yeux ronds d'étonnement. N'oubliez pas que je me trouvais à mille milles de toute région franchement habitée. Or elle ne semblait ni morte de faim, ni morte de soif, ni morte de peur. Elle n'avait en rien l'apparence d'une enfant perdue au milieu du désert.

     Quand je réussis enfin à parler, je lui dis :

     - Mais qu'est-ce que tu fais là ?

     Et elle me répéta alors, tout doucement, comme une chose très sérieuse :

     - S'il vous plait... dessine-moi un président...

     Quand le mystère est trop impressionnant on n'ose pas désobéir.

    Je sortis de ma poche une feuille de papier et un stylographe. Mais je me rappelai alors que je ne savais pas dessiner. Je le dis à la petite.

     - Ça ne fait rien. Dessine-moi un président. 

Comme je n'avais jamais dessiné un président je refis, pour elle, l'un des seuls dessins dont j'étais capable. Celui du boa fermé.

 

 

Et je fus stupéfait d'entendre :

 - Non ! Non ! Je ne veux pas d'un général dans un boa. Un boa c'est très dangereux et un général c'est encombrant. Chez moi c'est tout petit. J'ai besoin d'un président. Dessine-moi un président.

 Alors j'ai dessiné.

 

 

Elle regarda attentivement, puis :

 - Non ! Celui-là est déjà très malade. Fais-en un autre.

  Je n'allais pas lui parler de malaise, de Kouchner... Je dessinai.

 

 

Mon amie sourit gentiment, avec indulgence :

  - Tu vois bien... Ce n'est pas un président, c'est un diablotin, il a des cornes... Tu crois que...

 Je refis donc encore mon dessin. Mais il fut refusé comme les précédents :

  

 

 - Celui-là est trop vieux. Je veux un président qui vive longtemps.

 Visiblement, elle ne se mêlait pas de politique...

Faute de patience, comme j'avais hâte de continuer le démontage de mon moteur, je griffonnai ce dessin-ci.

 

 

 

 Et je lançai :

  - Ça c'est la porte. Le président que tu veux est derrière, dans son bureau.

  Mais je fus bien surpris de voir s'illuminer le visage de ma jeune juge :

  - C'est tout à fait comme ça que je le voulais ! Crois-tu qu'il faille beaucoup de blé à ce président ?

  - Pourquoi ?

  •  - Parce que chez moi c'est tout petit...

     - Il se débrouillera sûrement. Je t'ai donné un tout petit président.

        - Pas si petit que ça... Tiens ! Je crois qu'il veut sortir...

     

Et c'est ainsi que je fis la connaissance de la Petite Princesse.

 

 

- 3 -

 

 

Il me fallut longtemps pour comprendre d'où elle venait. La Petite Princesse, qui me posait beaucoup de questions, ne semblait jamais entendre les miennes. Ce sont des mots prononcés par hasard qui, peu à peu, m'ont tout révélé. Ainsi quand elle remarqua pour la première fois ma moto, elle me demanda :

 - C'est quelle marque ce truc ? 

 - Ce n'est pas un truc. Ça roule. C'est une moto. C'est ma moto. Une japonaise débridée qui vient du Bon Coin, de Saint-Ouen. 

 Et j'étais fier de lui apprendre que je pilotais une moto tout terrain. Alors elle s'écria: 

 Comment ! Elle vient de Saint-Ouen ?

- Oui, fis-je modestement.

Ah ! Ça c'est drôle... 

Et elle eut un très joli éclat de rire qui m'irrita beaucoup. Je désire qu'on prenne mes achats sur le Bon Coin au sérieux.

  - Alors toi aussi tu viens de Saint-Ouen ? De quelle cité es-tu ? 

J'entrevis aussitôt une lueur, dans le mystère de sa présence, et j'interrogeai brusquement :

 - Tu viens donc d'une cité ? 

Mais elle ne me répondit pas. Elle hochait la tête doucement tout en regardant ma moto :

 - C'est vrai que, là-dessus,tu ne peux pas venir de bien loin...

 Et elle s’enfonça dans une rêverie qui dura longtemps. Puis sortant mon président de sa poche, elle se plongea dans la contemplation de son trésor.

 

Vous imaginez combien j'avais pu être intrigué par cette demi-confidence sur les cités. Je m'efforcai d'en savoir plus long:

- D'où viens-tu grande fille? Où est-ce chez toi? Où veux-tu emporter mon président?

Elle me répondit après un silence méditatif:

- Ce qui est bien, avec le bureau que tu m'as donné, c'est que la nuit ça lui servira de maison.

- Bien sûr. Et si tu es gentille, je te donnerai des anxiolytiques, pour qu'il dorme aussi pendant le jour.

La proposition parut choquer la petite princesse. 

- Pour qu'il dorme? Quelle drôle d'idée.

- Tu ne le connais pas... S'il ne dort pas, il ira n'importe où, et il se perdra...

Et mon amie eut un nouvel éclat de rire.

- Mais où veux-tu qu'il aille?

-N'importe où. Droit devant lui...

Alors la petite princesse remarqua gravement:

- Ca ne fait rien, c'est tellement petit chez moi!

Et, avec un peu de mélancolie peut-être, elle ajouta:

- Droit devant soi on ne peut pas aller bien loin...

 

 

- 4 -

 

J'avais ainsi appris une chose très importante: c'est que sa cité d'origine était à peine plus grande que le champ du père Mathieu!

Ca ne pouvait pas m'étonner beaucoup. Je savais bien qu'il y a des centaines de cités qui sont quelquefois si petites qu'on a beaucoup de mal à les apercevoir, même au télescope. Certaines sont si minuscules qu'elles n'ont pas de nom, juste un numéro.

C'est que les grandes personnes aiment les chiffres. Quand vous leur parlez d'un nouvel ami, elles ne vous questionnent pas sur l'essentiel. Elles ne vous disent jamais: " Est-ce qu'il voit la basilique de St-Denis par sa fenêtre? Habite-t-il rue des marguerites? Son collège s'appelle-t-il Federico Garcia Lorca?"

Elles vous demandent:

Bâtiment? Porte, Etage?

Etablissement? Classe? Professeur principal?

Alors seulement elles croient le connaître.

Si vous leur dites: "J'ai vu une maison immense en plein Paris avec un parc et une piscine..." elles ne parviennent pas à imaginer cette maison. Il faut leur dire: " J'ai vu un hôtel particulier classé à 500 000 euros." Alors elles s'écrient: "Comme c'est joli!"

Ainsi si vous leur dites: " La preuve que la Petite Princesse a existé c'est qu'elle était ravissante, qu'elle riait, et qu'elle voulait un président. Quand on veut un président, c'est la preuve qu'on existe", elles hausseront les épaules et vous traiteront d'enfant! Mais si vous leur dites: "Elle venait de la cité des 4 000", alors elles seront convaincues et vous laisseront tranquille avec leurs questions. Elles sont comme ça. Il ne faut pas leur en vouloir. Les enfants doivent être très indulgents avec les grandes personnes.

 

- 5 -

 

Chaque jour j'apprenais quelque chose sur la cité, sur le départ, sur le voyage. Ca venait tout doucement, au hasard des réflexions. C'est ainsi que, le troisième jour, je connus le drame des nababs.

Cette fois-ci ce fut grâce au président, car brusquement la petite princesse m'interrogea, comme prise d'un doute grave:

- C'est bien vrai, n'est-ce pas, que les présidents commandent?

- Oui. C'est vrai.

- Ah! Je suis contente.

Je ne compris pas pourquoi il était si important que les présidents commandassent. Mais la petite princesse ajouta:

- Par conséquent ils commandent aussi aux nababs?

- Aux quoi?

- Aux nababs. Aux caïds si tu préfères.

Je fis remarquer à la petite princesse que les caïds sont grands, forts et décidés et que, même si elle emportait tout un troupeau de présidents, ce troupeau ne viendrait pas à bour d'un seul caïd.

L'idée du troupeau de présidents la fit rire.

- Il faudrait les mettre les uns dans les autres...

Mais elle remarqua avec sagesse:

- Les caïds, avant de grandir, ça commence par être petit.

- C'est exact! Mais pourquoi veux-tu que ton président commande aux petits caïds?

Elle me répondit: " Ben! Voyons!" comme s'il s'agissait là d'une évidence. Et il me fallut un grand effort d'intelligence pour comprendre à moi seul ce problème.

Et en effet, dans la cité de la petite princesse, il y avait comme dans toutes les cités, de bonnes herbes et de mauvaises herbes. Par conséquent de bonnes graines de bonnes herbes et de mauvaises graines de mauvaises herbes. Mais les graines sont invisibles.

Elles dorment dans le secret des appartements jusqu'à ce qu'il prenne fantaisie à l'une d'elles de se réveiller... Alors elle s'étire, et pousse timidement vers le soleil une ravissante petite bouille inoffensive. S'il s'agit d'une bouille de comptable ou de maître d'école, on peut la laisser pousser comme elle veut. Mais s'il s'agit d'une mauvaise plante, il faut arracher la plante dès sa majorité. Or il y avait des graines terribles dans la cité de la petite princesse, c'étaient les graines de caïds. Le sol de la cité en était infesté.

Or un caïd, si l'on s'y prend trop tard, on ne peut jamais plus s'en débarrasser. Il encombre toute la cité. Il la perfore de ses racines. Et si la cité est trop petite, et si les caïds sont trop nombreux, ils la font éclater. On a vu des cités réhabilitées à cause des caïds. On a vu des blocs rasés...

"C'est une question de discipline, me disait plus tard la petite princesse. Il faut faire soigneusement la toilette de la cité. Il faut s'astreindre à arracher les caïds dès qu'on les distingue d'avec les banquiers auxquels ils ressemblent beaucoup quand ils sont très jeunes."

 

- 6 -

 

Ah! petite princesse, j'ai compris, peu à peu, ta petite vie mélancolique. Tu n'avais eu longtemps pour distraction que la douceur du coucher des voisins. J'ai appris ce détail nouveau, le quatrième jour au matin, quand tu m'as dit:

- J'aime bien les couchers de voisins. Allons voir un coucher de voisins.

-Mais il faut attendre...

- Attendre quoi?

- Attendre que les voisins se couchent.

Tu as eu l'air très surprise d'abord, et puis tu as ri de toi-même. Et tu as dit:

- Je me crois toujours chez moi.

En effet. Tu étais environnée de tellement de fenêtres dans ta petite cité qu'il te suffisait de t'installer sur ton balcon et de tirer ta chaise de quelques pas et tu regardais des voisins se coucher chaque fois que tu le désirais.

- Un jour j'ai vu des voisins se coucher quarante trois fois!

Et un peu plus tard tu ajoutais:

- Tu sais... Quand on est tellement triste on aime les couchers de voisins.

-Le jour des quarante trois fois tu étais tellement triste?

Mais la petite princesse ne répondit pas.

 

- 7 -

 

Le cinquième jour, toujours grâce au président, ce secret de la vie de la petite princesse me fut révélé. Elle me  demanda avec brusquerie, sans préambule, comme le fruit d'un problème longtemps médité en silence:

- Un président, s'il tente de commander aux caïds, il séduit aussi les beurettes?

- Un président s'efforce de séduire tout ce qu'il rencontre.

- Même les beurettes qui savent se défendre?

- Oui, même les beurettes qui savent se défendre.

- Alors leurs défenses, à quoi servent-elles?

Je ne le savais pas. J'étais alors très occupé à essayer de dévisser un boulon trop serré de mon moteur. J'étais très soucieux car ma panne commençait de m'apparaître comme très grave et le père Mathieu était déjà passé deux fois sans nous remarquer.

- Leurs défenses, à quoi servent-elles?

La petite princesse ne renoncait jamais à une question, une fois qu'elle l'avait posée. J'étais irrité par mon boulon et je répondis n'importe quoi:

- Leurs défenses ne servent à rien, c'est de la pure méchanceté de la part des beurettes!

- Oh!

Mais après un silence elle me lança, avec une sorte de rancune:

- Je ne te crois pas! Les beurettes sont faibles. Elles sont naïves. Elles se rassurent comme elles peuvent. Elles se croient terribles avec leurs défenses...

Je ne répondis rien. A cet instant-là je me disais: " Si ce boulon résiste encore je le ferai sauter d'un coup de marteau." La petite princesse dérangea de nouveau mes réflexions:

- Et tu crois, toi, que les beurettes...

- Mais non! Mais non! Je ne crois rien! J'ai répondu n'importe quoi. Je m'occupe, moi, de choses sérieuses!

Elle me regarda stupéfaite.

- De choses sérieuses!

Elle me voyait, mon marteau à la main, et les doigts noirs de cambouis, penché sur un objet qui lui semblait très laid.

- Tu parles comme les grandes personnes!

Ca me fit un peu honte. Mais impitoyable, elle ajouta:

- Tu confonds tout... tu mélanges tout!

Elle était vraiment très irritée. Elle secouait au vent des cheveux tout dorés:

- Je connais des tas de bureaux où il y a des tas de messieurs cramoisis. Ils n'ont jamais respiré une fleur. ils n'ont jamais regardé une étoile. Ils n'ont jamais aimé personne. Ils n'ont jamais rien fait d'autre que pianoter sur des claviers d'ordinateurs. Et toute la journée ils répètent comme toi: " On est des hommes sérieux! On est des hommes sérieux!" Et ça les fait gonfler d'orgeuil. Mais ce ne sont pas des hommes, ce sont des champignons!

-Des quoi?

- Des champignons!

 

- 8 -

 

J'appris bien vite à mieux connaître cette beurette.

Il y avait toujours eu, dans la cité de la petite princesse, des beurettes très simples, dont le cou s'ornait d'un seul rang de perles de pacotille et qui ne tenaient point de place, et qui ne dérangeaient personne. Elles apparaissaient un matin dans la cité, le soir elles rentraient chez elles.

Mais celle-là avait germé un jour, d'une graine apportée d'on ne sait où, et la petite princesse avait surveillé de très près cette frimousse qui ne ressemblait pas aux autres frimousses. Ca pouvait être un nouveau genre de caïd. Mais non, c'était bien une beurette.

Elle n'en finissait pas de se préparer à être belle, à l'abri dans la petite chambre qu'elle partageait avec ses nombreux frères et soeurs. Elle s'habillait lentement. Elle voulait apparaître dans le plein rayonnement de sa beauté. Elle ne voulait pas sortir toute fripée, comme les beurettes de peu! Eh! Oui. Elle était très coquette! Sa toilette mystérieuse avait donc duré des jours et des jours.

Et puis voici qu'un matin, justement à l'heure du lever du soleil, elle s'était montrée.

Elle dit en bâillant:

- Ah! je me réveille à peine... Je vous demande pardon... Je suis encore toute décoiffée...

La petite princesse, alors, ne put retenir son admiration:

- Que vous êtes belle!

- N'est-ce pas, répondit doucement la beurette. Et je me lève en même temps que le soleil...

La petite princesse devina bien qu'elle n'était pas trop modeste mais elle était si émouvante!

- C'est l'heure, je crois du petit déjeuner, avait-elle bientôt ajouté, auriez-vous la bonté de penser à moi...

Et la petite princesse, toute confuse, avait fait du thé et avait servi la beurette.

Ainsi l'avait-elle bien vite tourmentée, avec sa vanité un peu ombrageuse. Un jour, par exemple, parlant de ses quatre bombes lacrymogènes:

- Ils peuvent venir, les keufs, avec leurs matraques!

- Il n'y a pas de keuf dans ma cité, avait objecté la petite princesse, et puis les keufs ne frappent pas les filles.

- Je ne suis pas une fille comme les autres, avait doucement répondu la beurette.

- Pardonnez-moi...

- Je ne crains pas les keufs, mais j'ai horreur des courants d'air. Vous n'auriez pas une écharpe de laine, de marque de préférence?

Et puis le soir vous mettrez un radiateur. Il fait très froid chez vous, c'est mal installé. Là d'où je viens...

Mais elle s'était interrompue. Elle était née dans la cité. Elle n'avait rien pu connaître des autres quartiers, de la ville. Humiliée de s'être laissée surprendre à préparer un mensonge aussi naïf, elle avait toussé deux ou trois fois, pour mettre la petite princesse dans son tort:

- Ce radiateur?...

- J'allais le chercher mais vous me parliez!

Alors elle avait forcé sa toux pour lui infliger quand même des remords.

 

- 9 - 

 

Je crois qu'elle profita, pour son évasion, du Cévenol.

Quand elle eût fait du thé une dernière fois pour la beurette, et qu'elle

se prépara à brancher le radiateur, elle se découvrit l'envie de pleurer.

- Adieu, dit-elle à la beurette.

Mais elle ne lui répondit pas.

- Adieu, répéta-t-elle.

La beurette toussa. Mais ce n'était pas à cause de son rhume.

- J'ai été sotte, lui dit-elle enfin. Je te demande pardon. Tâche d'être heureuse.

Elle fût surprise par l'absence de reproches. Elle restait là, toute déconcertée, la prise dans la main. Elle ne comprenait pas cette douceur calme.

- Laisse ce radiateur tranquille. Je n'en veux plus.

- Mais le froid...

- Je ne suis pas si enrhumée que ça... L'air frais de la nuit me fera du bien. Je suis une grande fille. Et puis laisse la porte ouverte.

- Mais les garçons...

- Il faut bien que je supporte deux ou trois caïds si je veux rencontrer le prince charmant. Il paraît qu'il est tellement beau. Sinon qui me rendra visite? Tu seras loin, toi. Quand aux keufs, je ne crains rien. J'ai mes lacrimos.

Et elle montrait naïvement ses quatre bombes. Puis elle ajouta:

- Ne traîne pas comme ça, c'est agacant. Tu as décidé de partir. Va-t-en.

Car elle ne voulait pas qu'elle la vit pleurer. C'était une fille tellement orgueilleuse...

 

 

- 10 - 

 

Elle se trouvait dans une région de grandes propriétés. Elle commença donc par les visiter pour y chercher une occupation et pour s'instruire.

La première était habitée par un roi. Le roi siégeait, énorme, habillé de pourpre et d'hermine, sur un trône très simple et cependant majestueux.

- Ah! Voilà un sujet, s'écria le roi quand il aperçut la petite princesse.

- Approche-toi que je te voie mieux, lui intima-t-il.

La petite princesse bâilla.

- Il est contraire à l'étiquette de bâiller en présence d'un roi, qui plus est acteur reconnu, dit le monarque. Je te l'interdis.

- Je ne peux pas m'en empêcher, répondit la petite princesse toute confuse. J'ai fait un long voyage et je n'ai pas dormi...

- Alors, lui dit le roi, je t'ordonne de bâiller. Allons! Bâille encore, c'est un ordre.

- Ca m'intimide... je ne peux plus... dit la petite princesse tout en rougissant.

- Hum! Hum! répondit le roi. Alors je... je t'ordonne tantôt de bâiller et tantôt de...

Il bredouillait un peu et paraissait vexé.

Car ce roi tenait essentiellement à ce que son autorité soit respectée.

-Si j'ordonnais, disait-il couramment, si j'ordonnais à Mr Sarkosy de donner une conférence en chinois, et si Mr Sarkosy acceptait à cause des 100 000 dollars, ce serait un fiasco. Ce ne serait pas la faute de Mr Sarkosy. Ce serait ma faute.

- Puis- je m'asseoir?

- Je t'ordonne de t'asseoir, lui répondit le roi.

-Sire..., lui dit-elle, je vous demande pardon de vous interroger... 

- Je t'ordonne de m'interroger, se hâta de dire le roi.

- Sire... Sur quoi régnez-vous?

- Sur des hectares et des hectares de vignobles, sur des salles obscures et mon frère est le tsar de toutes les Russies.

- Qu'est-ce qu'un vignoble?

- C'est beaucoup d'argent.

- Vous êtes le roi des vignobles?

- Je suis le roi des contribuables, soupira le roi, amer.

- Et de qui tenez-vous votre pouvoir?

- Je règne de par Dieu.

- Et les vignobles vous obéissent?

- Bien sûr, lui dit le roi. On en tire un nectar qui se négocie très cher... C'est magique!

- Qu'est ce que du nectar?

- Disons... une potion...

Un tel pouvoir émerveilla la petite princesse.

Elle s'enhardit à solliciter une grâce du roi.

- Je voudrais voir un coucher de voisins... Faites-moi plaisir... Ordonnez aux voisins de se coucher...

- Si j'ordonnais à Madame Bachelot d'adopter un enfant, et si l'enfant refusait l'adoption, qui, de lui ou de moi, serait dans son tort?

- Ce serait vous, dit fermement la petite princesse qui avait entendu parler de Roselyne Bachelot.

- Exact. Il faut exiger de chacun ce que chacun peut supporter. L'autorité repose d'abord sur la raison.

- Alors, mon coucher de voisins? rappela la petite princesse qui jamais n'oubliait une question une fois qu'elle l'avait posée.

- Ton coucher de voisins tu l'auras. Je l'exigerai.

- Quand ça sera-t-il?

- Hem! Hem! lui répondit le roi qui consulta d'abord un magazine. Hem! Hem! Ce sera ce soir vers 22 heures 30! Après le film de la première chaîne. Et tu verras comme je serai bien obéi.

"Les grandes personnes sont bien étranges..." se dit la petite princesse en reprenant son voyage.

 

 

Et pas le pape...

 

 - 11 -

 

La seconde propriété était habitée par un vaniteux:

- Ah! Ah! Voilà la visite d'une admiratrice! s'écria de loin le vaniteux dès qu'il aperçut la petite princesse.

Car, pour les vaniteux, tout un chacun est un admirateur.

- Bonjour, dit la petite princesse. Vous avez dessiné un drôle de chapeau.

Longs cheveux blancs raréfiés, lunettes noires, noeud papillon, le vaniteux, qui portait laid, était en effet occupé à dessiner.

- C'est pour saluer, lui répondit-il. C'est pour saluer quand on m'acclame.

- Saluer? répéta la petite princesse qui ne comprenait pas.

- Frappe tes mains l'une contre l'autre, conseilla donc le vaniteux.

La petite princesse frappa ses mains l'une contre l'autre. Le vaniteux salua modestement en soulevant son propre chapeau.

- Ca c'est plus amusant que la visite au roi, se dit en elle même la petite princesse. Et elle recommença de frapper ses mains l'une contre l'autre. Le vaniteux recommença de saluer en soulevant son chapeau.

Après cinq minutes d'exercice la petite princesse se fatigua de la monotonie du jeu:

- Et pour que le chapeau tombe, demanda-t-elle, que faut-il faire?

- Le chapeau ne peut pas tomber, il est fait sur mesures. Est-ce que tu m'admires vraiment beaucoup?

- Qu'est-ce que signifie admirer?

- Admirer signifie reconnaître que je suis l'homme le plus beau, le mieux habillé, le plus riche et le plus intelligent de la terre.

-De la terre? Mais tout est contrefait chez toi! Tout sonne faux! Tu mènes une vie de carnaval!

- C'est la mienne... Fais-moi ce plaisir. Admire-moi quand-même.

- Je t'admire, dit la petite princesse, en haussant un peu les épaules, mais en quoi cela peut-il bien t'intéresser?

Et la petite princesse s'en fut.

"Les grandes personnes sont décidément bien bizarres", se dit-elle simplement en elle-même durant son voyage.

 

 Môssieu ch...rait-il dans du Dior?

- 12 -

 

La propriété suivante était habitée par un buveur. 

- Que fais-tu là? dit-elle au buveur, qu'elle trouva installé en silence devant une collection de bouteilles vides et une collection de bouteilles pleines.

- Je bois, répondit le buveur, d'un air lugubre.

- Pourquoi bois-tu? lui demanda la petite princesse.

- Pour oublier, répondit le buveur.

- Pour oublier quoi? s'enquit la petite princesse qui déjà le plaignait.

- Pour oublier que j'ai honte, avoua le buveur en baissant la tête.

- Honte de quoi? s'informa la petite princesse qui désirait le secourir.

- Honte de ne plus être ministre.

- Et pourquoi n'es-tu plus ministre?

- Parce que je trinque! acheva le buveur qui s'enferma définitivement dans le silence.

Et la petite princesse s'en fut, perplexe.

 

 

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- 13 -

 

La quatrième proriété était celle du businessman. Cet homme était si occupé qu'il ne leva même pas la tête à l'arrivée de la petite princesse.

- Bonjour, lui dit celle-ci. Votre cigare est éteint.

- Tapis! Trois et deux font cinq. Cinq et sept douze. Douze et trois quinze. Bonjour. Quinze et sept vingt-deux. Vingt-deux et six vingt-huit. Pas le temps de le rallumer. Vingt-six et cinq trente et un. Ouf! Ca fait donc cinq cent un millions six cent vingt deux mille sept cent trente et un.

- Cinq cent millions de quoi?

- Hein? Tu es toujours là? Cinq cent un millions de... je ne sais plus... J'ai tellement de travail! Je suis sérieux moi, je ne m'amuse pas à des balivernes! Tapis! Deux et cinq sept...

- Cinq cent un millions de quoi? répéta la petite princesse qui jamais de sa vie n'avait renoncé à une question une fois qu'elle l'avait posée.

Le businessman leva la tête:

- Depuis cinquante ans que je travaille dans ce bureau, je n'ai été dérangé que trois fois. La première fois ç'a été, il y a vingt-deux ans, par un ballon de foot-ball qui était tombé Dieu sait d'où. Il répandait une odeur épouvantable et j'ai fait quatre erreurs dans une addition. La seconde fois ç'a été, il y a onze ans, quand on m'a mis à l'ombre à cause des erreurs d'addition dûes au ballon de foot-ball. La troisième fois... la voici! Je disais donc cinq cent un millions...

- Millions de quoi?

Le businessman comprit qu'il n'était point d'espoir de paix:

- Millions de ces petites coupures vertes qui font rêvasser les feignants. Mais je suis sérieux, moi. Je n'ai pas le temps de rêvasser.

- Ah! Des dollars?

- C'est bien ça. Des dollars.

- Et que fais-tu de tous ces dollars?

- Ce que j'en fais?

- Oui.

- Rien. Je les possède.

- Et à quoi cela te sert-il de possèder autant de dollars?

- Ca me sert à être riche.

- Et à quoi cela te sert-il d'être riche?

- A acheter d'autres dollars. Tapis!

- Que fais-tu de tous ces dollars?

- Je les gère. Je les compte et je les recompte, dit le businessman. C'est difficile. Mais je suis un homme sérieux. Et puis je les place dans ma banque.

- Qu'est-ce que ça veut dire?

- Ca veut dire que j'écris sur un petit papier le nombre de mes dollars. Et puis j'enferme à clef ce papier-là dans un tiroir.

- Et c'est tout?

- Ca suffit! Tapis!

- Pourquoi cries-tu tapis?

- C'est un tic.

"C'est amusant, pensa la petite princesse. Mais ce n'est pas très sérieux."

Elle songeait aux gens qui dormaient sur les trottoirs, à ceux qui volaient pour manger...

"Les grandes personnes sont décidément tout à fait extraordinaires", se disait-elle simplement en elle-même durant le voyage.

 

Et dire qu'il a été ministre!

 

 

- 14 -

 

La cinquième propriété était très curieuse.  C'était la plus petite de toutes. Il y avait sur la pelouse juste assez de place pour un réverbère.

La petite princesse salua respectueusement un homme moustachu qui tirait sur sa pipe. Il venait d'éteindre le réverbère.

- Bonjour. Pourquoi viens-tu d'éteindre ton réverbère?

- Economie d'énergie, soupira l'homme.

Et le réverbère se ralluma.

- Mais pourquoi vient-il de se rallumer?

- La pollution, ma petite, la pollution...

Et il éteignit le réverbère.

- Veux-tu que je te dessine un mouton?

- Non, merci, balbutia la petite princesse. J'ai déjà un président. Qu'est-ce que la pollution?

- Ce sont des milliards et des milliards de particules qui obscurcissent le soleil.

- Et le réverbère croit que c'est la nuit?

Le réverbère se ralluma.

L'homme l'éteignit et s'épongea le front avec un mouchoir à carreaux rouges.

- C'est terrible! C'était raisonnable autrefois. Il s'éteignait le matin et s'allumait le soir.

- Il te faut le débrancher...

- Il est solaire... Le jour la pile se recharge, la nuit la pile se vide.

- Laisse-le allumé...

- Tu n'y penses pas! L'ampoule s'use! La pile aussi... Ensuite elle ne se recharge plus. Une pile qui ne charge plus se dégrade, il faut la jeter...

Je ne jette rien! C'est un principe.

- Tes vieux habits?

- Je les donne.

- Même tes vieilles chaussures?

- Je les brûle.

- Tu les brûles?

- Bien sûr.

- Mais tu pollues!

- Comment ça je pollue?

- Des milliards et des milliards de particules...

- Tu n'en veux vraiment pas de mon mouton?

Le réverbère se ralluma.

- Non, merci, répéta la petite princesse.

L'homme éteignit le réverbère.

La petite princesse se dit en elle-même: " peut-être bien que cet homme est absurde. Cependant il est moins absurde que le roi, que le vaniteux, que le businessman et que le buveur. Au moins son travail a-t-il un sens. Et puis c'est le seul qui ne me paraisse pas ridicule. C'est, peut-être, parce qu'il s'occupe d'autre chose que de lui-même."

Et elle s'en alla.

 

 

Bèèèèè

 

 

- 15 -

 

La sixième propriété était une propriété dix fois plus vaste. Elle était habitée par un homme en complet-veston qui tapait sur un clavier d'ordinateur.

- Tiens! Voilà un observateur! s'écria-t-il, quand il aperçut la petite princesse.

La petite princesse s'assit sur la table et souffla un peu. Elle avait déjà tant marché!

- D'où viens-tu? lui dit l'homme.

- Qu'est ce que vous tapez? dit la petite princesse. Que faites-vous ici?

- Je suis technocrate, dit l'homme.

- Qu'est-ce qu'un technocrate?

-On dit aussi rond de cuir.

- Pourquoi rond de cuir?

- C'est rapport à notre derrière, nous sommes assis toute la journée.

La petite princesse baissa pudiquement les yeux.

- Qu'est-ce qu'un technocrate? demanda-t-elle de nouveau.

- C'est un savant qui renseigne les légistes.

- Qu'est-ce qu'un légiste?

- Un légiste rédige les lois, il décide comment tu dois vivre. As-tu déjà pris des amphétamines?

- Il est bien beau votre village. Est-ce que les gens y sont heureux?

- Je ne puis pas le savoir, dit le technocrate.

- Ah! (La petite princesse était déçue.) Il y a beaucoup de pauvres?

- Je ne puis pas le savoir, dit le technocrate.

- Et des riches, et des animaux de compagnie, et des pigeons?

- Je ne puis pas le savoir non plus, dit le technocrate.

- Mais vous êtes technocrate!

- C'est exact, dit le technocrate, mais je ne suis pas observateur. Je manque absolument d'observateurs. As-tu déjà pris des amphétamines?

- Qu'est-ce qu'un observateur?

- Un observateur est un témoin. Il me renseigne. Mais je dois d'abord faire une enquète sur sa moralité.

- Pourquoi ça?

- Un observateur qui mentirait entraînerait des catastrophes. Et aussi un observateur qui boirait trop.

- Pourquoi ça? demanda de nouveau la petite princesse.

- Les ivrognes voient double. Alors je noterais une maison magnifique là où il n'y aurait qu'une maison de rien du tout.

- Je connais quelqu'un, dit la petite princesse, qui serait mauvais observateur. 

- C'est possible. As-tu déjà pris des amphétamines?

Mais la petite princesse était partie.

 

 

 

- 16 -

 

La terre n'est pas une planète quelconque! On y compte encore des dizaines de rois, des millions de technocrates, au moins autant de businessmen, un bon milliard d'ivrognes, plusieurs milliards de vaniteux ... et de plus en plus d'éteigneurs de réverbères.

L'avenir est aux éteigneurs de réverbères, songeait la petite princesse qui se disait qu'un jour elle aurait des enfants.

Les rois sont appelés à disparaître, les technocrates à gérer des catastrophes, les businessmen à rendre des comptes, les vaniteux à tendre la main, les ivrognes à s'efforcer d'oublier... Ce monde va à sa perte. Seuls peuvent le sauver les éteigneurs de réverbères.

 

- 17 -

 

La petite princesse, une fois passé le portail de cette somptueuse propriété, fut bien surprise de ne voir personne. C'est alors qu'il apparut.

- Bonne nuit, fit la petite princesse.

- Bonne nuit, fit le serpent.

La petite princesse s'assit sur une pierre et leva les yeux vers le ciel.

- Que viens-tu faire ici? demanda le serpent.

- J'ai des difficultés avec une beurette, dit la petite princesse.

- Ca arrive, fit le serpent.

Et ils se turent.

La petite princesse regarda longtemps le serpent:

- Tu es une drôle de bête, lui dit-elle enfin, toute petite et mince comme un doigt...

- Mais je suis plus puissant que le doigt d'un roi, dit le serpent.

- Tu n'es pas bien puissant... c'est à peine si tu as des pattes... Tu ne peux même pas voyager.

- Je puis t'emporter au bout du monde. Papa s'est carapaté des Carpathes mais moi, moi j'ai mon avion tu sais? Celui que je désigne se voit confier argent, pouvoir, ministère, préfecture... Il m'arrive de gagner mille dollars à la minute. Mes amis ont des jets, des yachts... Je

- C'était avant, dit la petite princesse qui l'avait reconnu.

Le serpent déglutit.

Il s'approcha d'elle.

-Tu me fais pitié, toi si faible, sur cette terre de granit. Tu sais, j'ai mes entrées à la bourse. Je puis t'aider un jour si tu veux vivre grassement du travail des autres. Je puis...

- Oh! J'ai très bien compris, fit la petite princesse. Tu ferais de moi une opératrice de marché, une trader...

- Un bien beau métier, dit le serpent.

Et ils se turent.

 

 

 

 

- 18 -

 

La petite princesse rencontra ensuite une beurette, oh! une beurette avec juste un collier de pacotille, une beurette de rien du tout.

- Bonjour, dit la petite princesse.

- Bonjour, dit la beurette.

- Il n'y a personne ici? demanda poliment la petite princesse.

La beurette avait vu passer un cortège officiel. 

- Personne? J'ai bien vu un convoi, des limousines, des motards, des gyrophares... Sans doute quelque ministre en déplacement. Mais je ne sais pas où ils sont... Le vent les promène. Ils perdent leurs racines, ça les gêne beaucoup.

- Adieu, dit la petite princesse.

- Adieu, dit la beurette.

 

- 19 -

 

La petite princesse n'avait jamais vu de montagne. Elle découvrit le mont Lozère et aperçut un sommet enneigé.

- Bonjour, cria-t-elle pour rire.

- Bonjour... Bonjour... Bonjour... répondit l'écho.

- Qui êtes-vous?

- Êtes-vous... Êtes-vous... Êtes-vous... répondit l'écho.

- Décroissance! cria la petite princesse.

- Croissance... Croissance... Croissance... répondit l'écho.

 

- 20 -

 

Mais il arriva que la petite princesse, ayant longtemps marché à travers les champs de céréales, les jachères et les prairies, découvrit enfin une ville.

Et les villes sont animées.

- Bonjour, dit-elle.

C'était une manifestation.

- Bonjour, dirent les manifestantes.

La petite princesse les regarda. Elles ressemblaient toutes à sa beurette.

- Qui êtes-vous? leur demanda-t-elle, stupéfaite.

- Ni soumises, scandaient les manifestantes.

- Nous sommes des beurettes.

- Ah! fit la petite princesse.

Et elle se sentit très malheureuse. Elle croyait sa beurette unique au monde et voilà qu'il en était cinq mille, toutes semblables, sur une seule avenue!

" Elle serait bien vexée, se dit-elle, si elle voyait ça..."

- Ni soumise...

La rumeur de la manifestation s'estompait.

Elles étaient passées.

" Je ne suis pas une bien grande princesse", se dit-elle et elle pleura.

 

 

Suite: La petite princesse, page 2.

 

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